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La réunion de famille

Par SUFFRAN, MICHEL
978-2-307-21932-3
(9782307219323)

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978-2-307-55265-9
(9782307552659)
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Mon enfance a été ordinaire, c’est-à-dire miraculeuse. Comme toutes les enfances. Depuis lors, ma vie, comme toutes les vies, s’ouvre d’elle-même à cette page qui n’a jamais été tournée. Ce livre est donc un miroir tendu vers ce qui est moins une époque révolue de mon existence, qu’une arête vive de mon être, une part obscure et radieuse que j’ai, jusqu’à présent, toujours considérée obliquement, à travers les transpositions de la fiction, les prestiges supposés de l’imaginaire, Pour la première, et sans doute l’unique fois, c’est à nu, à visage découvert, que j’ose regarder ce petit garçon à tignasse rebelle qui me ressemble à peine, un peu comme un fils à son père. Je m’efforce de ne pas lui prêter mes paroles et mes sentiments d’aujourd’hui ; je m’impose d’écouter son silence et, cependant, de ne pas trahir ses secrets. Je n’ai pas à le faire revivre, puisque tout, en moi, reste pétri de sa présence. Alors, d’une main malhabile de vieil écolier, j’écris, à l’encre violette, sous la dictée de ce maître exigeant ; je rature et corrige à sa demande... Mais j’ignore encore comment il va noter ma copie. La guerre a cassé mon enfance ; ou, pour parler de façon moins tragique, elle l’a pliée en son centre, en deux versants : avant, il y a surtout Bordeaux, la ville-mère, réduite à un simple lambeau brumeux et tiède, un peu crépusculaire, de “tissu urbain” : ce quartier Saint-Pierre tout proche des quais, espace clos mais ébranlé d’appels de sirènes, ouvert sur le monde invisible par l’énorme blessure, cautérisée de sel, de l’estuaire. Ensuite, les années de guerre et d’Occupation ont ressemblé – faut-il l’avouer ? – à d’interminables grandes vacances, en cette demeure bénie de mon grand-père maternel, à Mézin (Lot-et-Garonne), “maison d’haleine” couronnée par tout un royaume aérien de greniers dont j’ai longtemps été, parmi les cris des hirondelles et les sillages des défunts familiers, le seul habitant. Ce que, dans notre langage infirme, nous nommons “le passé” n’est, je le crois, qu’un lieu échappé au temps, un point illuminé de l’espace, où ceux que nous ne pouvons plus voir nous attendent, groupés, immobiles, silencieux, à l’ombre d’une terrasse baignée d’un invincible été, comme en ce tableau du peintre impressionniste Bazille, La réunion de famille, dont j’ai placé l’image au frontispice.
Mon enfance a été ordinaire, c’est-à-dire miraculeuse. Comme toutes les enfances. Depuis lors, ma vie, comme toutes les vies, s’ouvre d’elle-même à cette page qui n’a jamais été tournée. Ce livre est donc un miroir tendu vers ce qui est moins une époque révolue de mon existence, qu’une arête vive de mon être, une part obscure et radieuse que j’ai, jusqu’à présent, toujours considérée obliquement, à travers les transpositions de la fiction, les prestiges supposés de l’imaginaire, Pour la première, et sans doute l’unique fois, c’est à nu, à visage découvert, que j’ose regarder ce petit garçon à tignasse rebelle qui me ressemble à peine, un peu comme un fils à son père. Je m’efforce de ne pas lui prêter mes paroles et mes sentiments d’aujourd’hui ; je m’impose d’écouter son silence et, cependant, de ne pas trahir ses secrets. Je n’ai pas à le faire revivre, puisque tout, en moi, reste pétri de sa présence. Alors, d’une main malhabile de vieil écolier, j’écris, à l’encre violette, sous la dictée de ce maître exigeant ; je rature et corrige à sa demande... Mais j’ignore encore comment il va noter ma copie. La guerre a cassé mon enfance ; ou, pour parler de façon moins tragique, elle l’a pliée en son centre, en deux versants : avant, il y a surtout Bordeaux, la ville-mère, réduite à un simple lambeau brumeux et tiède, un peu crépusculaire, de “tissu urbain” : ce quartier Saint-Pierre tout proche des quais, espace clos mais ébranlé d’appels de sirènes, ouvert sur le monde invisible par l’énorme blessure, cautérisée de sel, de l’estuaire. Ensuite, les années de guerre et d’Occupation ont ressemblé – faut-il l’avouer ? – à d’interminables grandes vacances, en cette demeure bénie de mon grand-père maternel, à Mézin (Lot-et-Garonne), “maison d’haleine” couronnée par tout un royaume aérien de greniers dont j’ai longtemps été, parmi les cris des hirondelles et les sillages des défunts familiers, le seul habitant. Ce que, dans notre langage infirme, nous nommons “le passé” n’est, je le crois, qu’un lieu échappé au temps, un point illuminé de l’espace, où ceux que nous ne pouvons plus voir nous attendent, groupés, immobiles, silencieux, à l’ombre d’une terrasse baignée d’un invincible été, comme en ce tableau du peintre impressionniste Bazille, La réunion de famille, dont j’ai placé l’image au frontispice.

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